Des bébés exposés au chlordécone in utero et dans les premiers mois de leur vie ont présenté des retards dans le développement cognitif et moteur. Une preuve supplémentaire que le pesticidelongtemps utilisé aux Antilles est associé à des effets négatifs sur la santé. Désormais se pose aussi la question des conséquences à plus long terme pour ces enfants…
Dans un article publié dans la revue Environnemental Research, des chercheurs de l’Inserm en lien avec des chercheurs québécois, belges et américains ont tenté de savoir si l’exposition au chlordécone – un pesticideutilisé jusqu’en 1993 dans les plantations de bananes aux Antilles – avait un impact sur le développement cognitif, visuel et moteur de très jeunes enfants.
Des femmes ont été suivies pendant et après leur grossesse et 153 nourrissons ont fait l’objet d’un suivi à l’âge de 7 mois. Les résultats de cette étude montrent que l’exposition pré ou postnatale au chlordécone est associée à des effets négatifs sur le développement cognitif et moteur desnourrissons. Ils ne sont pas confirmés pour les enfants plus âgés pour lesquels l’étude se poursuit.
Un pesticide retrouvé dans l’alimentation
Le chlordécone est un pesticide qui fut employé pendant plus de 20 ans aux Antilles pour lutter contre le charançon du bananier. Sa large utilisation (interdite depuis 1993 dans les Antilles françaises) et son caractère persistant dans l’environnement ont toutefois entraîné une pollution permanente des sols et une contamination de la population. La substance est aujourd’hui considérée comme un perturbateur endocrinien, neurotoxique, elle est classée cancérigène possible pour l’Homme par l’OMS.
Le chlordécone, dont on voit ici la représentation de la molécule, est utilisé comme insecticide depuis 1976. Aux Antilles, il a été interdit en 1993 mais des problèmes de santé ont été ressentis bien après. © Yassine Mrabet, Wikipédia, DP
Pour évaluer l’impact sur la santé d’une exposition au chlordécone, l’équipe dirigée par Sylvaine Cordier à Rennes et Luc Multigner à Pointe-à-Pitre a mis en place, en Guadeloupe, une grande cohorte mère-enfant baptisée Timoun (« enfant » en créole). L’objectif général de cette étude est d’évaluer l’impact sanitaire des expositions à ce produit chimique sur le déroulement de la grossesse et le développement pré et postnatal. Cette cohorte est donc constituée de 1.042 femmes suivies avec leurs enfants depuis leurgrossesse qui a eu lieu au cours de la période 2005-2007. Les chercheurs se sont particulièrement intéressés à l’impact de l’exposition prénatale et postnatale au chlordécone sur le développement cognitif, visuel et moteur du nourrisson à l’âge de 7 mois.
L’exposition prénatale au chlordécone a été estimée par son dosage sanguin dans le cordon. L’exposition postnatale a, quant à elle, été estimée par son dosage dans le lait maternel ainsi que par la fréquence de consommation par les nourrissons de denrées alimentaires susceptibles d’être contaminées par le polluant. Puis la mémoire visuelle, l’acuité visuelle et le développement moteur des nourrissons ont été testés.
Le chlordécone retarde le développement des bébés
L’exposition prénatale au chlordécone a été retrouvée associée de manière significative à une réduction du score de préférence visuelle pour la nouveauté ainsi qu’à un faible score sur l’échelle de développement de la motricité fine.
L’exposition postnatale au chlordécone, estimée par la consommation de denrées alimentaires contaminées, a été retrouvée associée à la limite de la signification statistique à une réduction de la vitesse d’acquisition de la mémoire visuelle et à une réduction de la préférence visuelle pour la nouveauté. En revanche, l’exposition postnatale au pesticide par l’allaitement n’apparaît associée à aucune modification du développement psychomoteur.
Quel avenir pour ces enfants ?
En conclusion, l’exposition prénatale au chlordécone ou postnatale via la consommation alimentaire est associée à l’âge de 7 mois à des effets négatifs sur le développement cognitif et moteur des nourrissons.
Bien que ces observations basées sur des petits effectifs ne traduisent pas de troubles graves, elles sont néanmoins à rapprocher de certaines particularités décrites dans le passé chez des adultes exposés professionnellement au chlordécone et caractérisées par un appauvrissement de la mémoire à court terme et par la présence de tremblements d’intention.
Les chercheurs s’interrogent sur la possibilité que ces associations constatées chez les bébés à l’âge de 7 mois, puissent être prédictives de troubles permanents à un âge plus avancé. Pour Sylvaine Cordier et Luc Multigner, « seul le suivi des enfants au cours des années à venir permettra de répondre à ces interrogations ». Les enfants de la cohorte Timoun font l’objet actuellement d’un suivi à l’âge de 7 ans.
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