En dépit des dénégations des industriels du secteur, les pesticides sont bel et bien impliqués dans un grand nombre de pathologies lourdes. REUTERS/SUKREE SUKPLANG
En dépit des dénégations des industriels du secteur, les pesticides sont bel et bien impliqués dans un grand nombre de pathologies lourdes – cancers, maladies du sang, troubles neurologiques, malformations, etc. – dont l'incidence tend à augmenter dans le monde. C'est l'idée-force d'une impressionnante expertise collective menée sur l'ensemble des connaissances internationales actuelles, et pilotée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui l'a rendue publique jeudi 13 juin.
Cette synthèse rassemble les données épidémiologiques issues de nombreux pays (Etats-Unis, Canada, Australie, Finlande, Danemark, etc.), qui précisent les effets sanitaires des principaux produits phytosanitaires : insecticides, herbicides et fongicides. Une grande part du rapport concerne les expositions professionnelles (agriculteurs, ouvriers du secteur agrochimique, etc.), mais aussi les personnes vivant ou travaillant dans ou à proximité de zones agricoles. En France, terre d'agriculture, 15 % de la population sont ainsi concernés.
"AUGMENTATIONS DE RISQUES SIGNIFICATIVES"
Après avoir passé au crible la littérature scientifique internationale, les experts concluent que l'exposition à des pesticides conduit à "des augmentations de risques significatives pour plusieurs pathologies".
C'est ainsi que chez les agriculteurs, les ouvriers de l'industrie qui fabriquent ces produits ou ceux qui les appliquent, il y a une "présomption forte" d'association entre une exposition professionnelle aux pesticides et la survenue de certaines proliférations malignes de cellules lymphoïdes (lymphomes non hodgkiniens) et de cancers de la prostate. Les agriculteurs et les applicateurs de pesticides sont également exposés à un risque accru de myélome multiple, une autre prolifération maligne dans la moelle osseuse. Et ce n'est pas tout. Que ce soit dans le cadre d'expositions professionnelles ou non, les adultes présentent un plus grand risque à développer une maladie de Parkinson.
Un lien avec d'autres pathologies comme les tumeurs du système nerveux central est aussi suspecté. En Gironde, par exemple, région viticole très consommatrice de pesticides, l'incidence de ces maladies est trois fois supérieure au niveau national. Entre 2000 et 2007, elle a augmenté de 17 %.
"ATTENTION AU SYNDROME DU RÉVERBÈRE"
Les travaux internationaux examinés mettent en lumière un autre fait majeur : la période de vulnérabilité que représente la grossesse. "Il y a une présomption forte d'un lien entre une exposition professionnelle de la femme enceinte à certains pesticides et un risque accru pour l'enfant de présenter un hypospadias ou de développer, plus tard, un cancer cérébral ou une leucémie", constate l'épidémiologiste Sylvaine Cordier (Inserm, université Rennes-I) et coauteure du rapport. Selon des données internationales, l'exposition professionnelle du père ou de la mère augmente de 30 % à 53 % le risque de tumeurs cérébrales de l'enfant à naître.
Les agricultrices enceintes ne sont pas les seules concernées. Celles qui habitent dans des zones agricoles d'épandage ou celles qui utilisent les pesticides à des fins domestiques le sont également : "Des études montrent un risque augmenté, pour l'enfant à naître, de leucémies, de troubles de la motricité fine, de déficit cognitif, de troubles du comportement comme l'hyperactivité", ajoute Mme Cordier.
Si les preuves sont suffisantes pour agir vis-à-vis de certains produits – les organochlorés et les organophosphorés –, Jean-Paul Moatti, directeur de l'Institut thématique "Santé publique" commun aux organismes de recherche publics français met en garde : "Attention au syndrome du réverbère où l'on ne regarde que ce qui est éclairé. Notre expertise collective pointe le développement de nombreuses pathologies, mais de futurs travaux pourraient découvrir des effets insoupçonnés des pesticides analysés, ou mettre en évidence la toxicité d'autres substances."
DES DÉCISIONS POLITIQUES ATTENDUES
Les auteurs recommandent donc d'"améliorer les connaissances sur l'exposition des populations" et d'obtenir la composition complète des produits mis sur le marché, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, les formules commerciales restant protégées par le secret industriel. En Europe, ces données ne peuvent être réclamées par un seul pays – comme aux Etats-Unis –, car elles relèvent de la règlementation communautaire.
"Si les auteurs de cette large expertise réclament surtout que l'on fasse plus de recherche, dit de son côté François Veillerette, porte-parole de l'association Générations futures, ils n'en tirent pas moins des conclusions très fortes, qui doivent mener à des décisions politiques : vente des pesticides interdites à des utilisateurs non professionnels ou interdiction pour les collectivités publiques d'y avoir recours…"
Retirer du marché les produits est parfois nécessaire mais pas toujours suffisant. Les scientifiques le savent bien. "De nombreux produits ont été interdits mais les plus persistants demeurent présents dans l'environnement ou s'accumulent dans la chaîne alimentaire, dont l'homme constitue le dernier maillon." Pour le député socialiste Gérard Bapt, qui avait déjà lancé l'alerte sur les dangers sanitaires du bisphénol A, et qui a organisé la présentation des résultats de l'expertise à l'Assemblée nationale, "ce travail montre l'ampleur du problème en matière de santé publique. La question est de savoir si, comme dans le cas du chlordécone aux Antilles, nous n'avons pas dépassé le point de non-retour".
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